Un Canal et des Hommes

Le métier de charron

Nico nous fournit une remarquable occasion d’ajouter une nouvelle rubrique à notre saga sur le canal Meuse & Moselle. Les travaux du canal rassemblèrent nombre de métiers dont certains ont aujourd’hui disparus. Ou presque. Parmi ceux-ci, le métier de charron.

Cet art tel qu’il est encore pratiqué à Kommern aujourd’hui ou par Nicolas Meyer et Daniel Melan il y a quelques dizaines d’années est en tout point semblable à celui en usage dans les années 1830 à Buret.

La description que nous livre Nico nous emmène donc directement plus de 180 ans en arrière, avec un témoignage photographique qui nous manque tant par ailleurs.

Bonne lecture.

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Charron pour une belle journée

au musée de Kommern

Le forgeron Dieter Knoll et Nicolas Hamen, l’apprenti, pendant le cerclage d’une roue

Le forgeron Dieter Knoll et Nicolas Hamen, l’apprenti, pendant le cerclage d’une roue

      Mon grand-père Nicolas Meyer, charron, et son beau-frère Daniel Mélan, forgeron, exerçaient leur métier sur les hauteurs venteuses du village de Knaphoscheid. Le métier de charron est un métier ancien qui a accompagné la vie rurale dans notre région jusque dans les années 1955, date de la généralisation de la mécanisation agricole et date à laquelle Daniel voyait les paysans du village acheter le premier tracteur Fordson. Depuis lors le métier de charron a complètement disparu en même que la petite agriculture. Les charrettes et les voitures s’équipèrent de roues à pneus et souvent encore on trouvait des roues qui provenaient de camions, chars ou canons abandonnés après la deuxième guerre mondiale. Depuis des siècles le village nomma les personnes par leurs noms de métier. Ce qui était juste pour « Schmatt’s Daniel » ne l’était pas, au moins par mes souvenirs, pour « Meyer Néckel » qui habitait avec sa femme Hélène Mélan, la maison « an Thinnes ». « Schmatt » désignait le forgeron, « Schmied » en allemand, tandis que « Wohner » désignait le charron, « Stellmacher » en allemand. On était plutôt germanophone que francophone.

Char_2

Cerclage de roue au lieu-dit « Kierel »

 De g. à dr.: François SASSEL, Corneille HEINEN, Daniel MELAN et Auguste MELAN

(Kiirtz Franz, den Nilles, de Schmad an den Monni Gust)

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Les maisons avec leur atelier se trouvaient à deux cents mètres le long de la route qui mène de Klenghouschend à Grousshouschend. De l’atelier du charron à la forge, il ne faut qu’un tour de roue pour rencontrer une création artisanale qui ne peut qu’être parfaite sous peine d’être inutilisable. La fabrication de roues en bois est un travail de précision qui consiste en réunir un certain nombre de rayons autour d’un noyau, dont le vide au milieu rend la roue utilisable. Pour que le roue puisse remplir correctement son office, il faut évidemment qu’elle soit cerclée de fer, à la fois pour augmenter sa solidité et pour accroître la résistance de sa bande de roulement sur les routes et chemins.

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Char_3

Peu avant l’allumage du feu

(de g. à d.)

Théophile BLOM, Georges PALZER, Emile WEYRICH, Nicolas BERNARD et Daniel MELAN

(de Bloum, Palzer Georges (aus Ferna resp a Palzer), ?, Nilles Kloos, de Schmad)

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Embattage d’une roue devant la
forge à Knaphoscheid

(de g. à d.)

Auguste MELAN, Daniel MELAN, Emile WEYRICH, Marcel RICKAL et Auguste MELAN junior

(Schmads Auguste, de Schmad, ?, ? , dem Schmad sài Gust)

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L’embattage se pratique à la belle saison, quand le bois est bien séché. Pour éviter de devoir les resserrer après un usage de quelques mois, on avait l’habitude de commander des roues au charron deux ans à l’avance pour ainsi les laisser sécher. L’opération de cerclage demandant des moyens importants se pratiquait le plus souvent pour plusieurs roues à la suite et selon le nombre de roues elle se déroulait devant la forge ou dans la vallée vers Enscherange à proximité immédiate du petit ruisseau -bei der Kirel- au -Dahmlach-. Avec ses aides le forgeron et ses aides ont préparé un bûcher où les bandages métalliques sont portés au rouge.

Pendant ce temps, les roues sont transportées à proximité du feu et l’une d’entre est posée horizontalement sur le –bâti- pour ainsi rester stable. Pour la description des travaux qui suivent, le curé Charles Dubois se rappelle en 1947 dans Vieilles choses d’Ardenne et rapporte :

L’instant est solennel, le forgeron s’affaire et jure ; les aides s’empressent fiévreux : il s’agit de ne pas rater son coup ! Les pinces agriffent les cercles brûlants, les soulèvent à hauteurs de bras et les déposent aussi juste que possible autour de l’orbe de la roue. Preste, le maréchal a fait jouer son levier ; les tenailles tirent, les marteaux tapent, le bois des jantes fume : la roue est bandée !

Au contact du fer rouge, le bois commence à brûler, un aide arrose copieusement la roue que, le cas échéant, on redresse et fait rouler dans le ruisseau. Sous l’effet du refroidissement, le fer se contracte et resserre le bois de la jante. Il ne restera plus qu’à enfoncer des clous dans les trous préparés dans la bande de métal. Cet arrosage de la roue avec de l’eau était ma mission lors de cette belle journée d’été à Kommern. En tant que apprenti, j’étais fier de faire partie d’un groupe d’artisans qui faisaient revivre le temps de mon grand-père et de mon oncle.

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Char_5Les roues sont prêtes pour le bandage

Charron vient tout droit du métier de charpentier puisque déjà dans le haut Moyen Age, il faut maitriser le travail et l’assemblage du bois pour bâtir châteaux et cathédrales et exécuter tous les travaux intérieurs de second oeuvre.

C’est pour cela que les textes royaux distinguaient souvent :

  • Les charpentiers de la grande cognée (hache) qui étaient chargés de l’équerrage du bois, de fabriquer les grandes charpentes, les planchers, les colombages…
  • Les charpentiers de la petite cognée qui eux étaient spécialisés dans les coffres (métier de huchier), les bancs, les escaliers, les portes et la « menue huisserie »  (menuisier).

Parmi les différentes spécialisations, est né le métier de charron qui s’est consacré à la fabrication des charrettes et autres moyens de roulage même si à la campagne, le métier présentait une polyvalence plus large. Tout d’abord le charron s’occupait de l’outillage du jardinage et des champs et des bois. Il façonnait de nouveaux manches pour les bêches, fourches, les râteaux, les haches et les pioches. En morte saison, il fabriquait et réparait les râteaux pour retourner le foin. Mais le gros de son travail consistait à construire les charrettes, tombereaux, surtout les voitures des paysans du village.

La fabrication de la charrette demandait une dextérité et un savoir-faire importants notamment pour la confection des roues qui constituait la partie la plus délicate du travail ; c’est à leur solidité et à leur longévité que le charron devait sa renommée. Leur réalisation reposait sur de longs mois d’apprentissage et faisait appel à des notions de physique (forces), de géométrie, de dessin, plus une connaissance affirmée du bois et de son travail.

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Kommern en juin 2013

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Le charron arayeur fabriquait des charrettes et des charrues (araires). Il travaillait le bois, essentiellement le chêne pour toutes les parties qui exigent une grande robustesse et notamment les roues… ainsi que l’orme pour faire le moyeu La fabrication des roues était le travail le plus délicat à faire et exigeait une grande habileté !

Ayant une forge, il cerclait de métal ces grandes roues… n’ayant pas besoin de faire appel à un forgeron. Il fabriquait aussi des araires Les mancherons et le corps étaient en bois dur de chêne mais le soc était en métal. Les charrons étaient respectés et une chanson gasconne des bruits des métiers, qui formule un reproche à l’égard de presque tous, épargne le charron et le montre attentif à son ouvrage :

 » Quant lou charroun hé l’arrodo           Quand le charron fait la roue –

Tico tac, dab la hocholo                              Tic, tac, avec l’herminette –

De l’arrai au boutoun                                   Du rayon au bouton –

Espio se lou tour es boun »                          Il regarde si le tour est bon.

 

Le choix du bois

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Arbres débités en grumes

Les arbres repérés sont abattus en hiver, une fois les dernières montées de sèves faites. Ils sont ensuite débités, puis mis à sécher soit en planches soit en grumes pendant quatre ou cinq années, ce qui permettait d’éliminer le mauvais bois qui se fendait pendant ces années de séchage (le grume étant le tronc entier de l’arbre, servant pour toutes les parties sensibles de l’ouvrage, comme les roues ou les moyeux.)

Le charron devait, en prévision des futures réalisations, s’approvisionner en bois et anticiper le temps de séchage: 4 à 5 ans en grumes ou en planches. En hiver souvent, il procédait à l’abattage des arbres nécessaires qu’il repérait dans nos bois et forêts. Le charron, avant d’être un ouvrier hors pair, est tout d’abord un bon observateur. D’un seul coup d’oeil il savait juger si un arbre avait les qualités requises pour réaliser son ouvrage, arbre dont il choisissait l’essence en fonction des pièces à réaliser :

  • Les ormeaux tortillards (noueux) étaient utilisés pour confectionner le moyeu : il était une des pièces maitresses et subissait les plus grosses contraintes. L’orme ou orme tortillard (beaucoup plus noueux) est un bois solide qui a la propriété de ne pas se fendre facilement. Le charme était aussi utilisé dans les régions ou l’orme était rare pour réaliser les essieux et autres pièces où ce dernier était utilisé.
  • Les rayons de la roue étaient souvent faits en acacia alors que pour les jantes on utilisait du frêne ou de l’ormeau.
  • Pour le corps de la charrette, le choix était moins important même si on réservait en général une pièce de chêne pour le timon qui est l’élément de traction et pour les longerons.
  • Les échelettes, les ridelles et le tour étaient réalisés en bois dur afin de résister aux intempéries.

Il entassait les planches sur des liteaux, dans un endroit aéré où elles séchaient. Au début du printemps arrivait la période des commandes importantes et le charron ne savait plus par quel bout il devait commencer. Il fallait secourir les cultivateurs en difficultés : réparer un limon cassé, rafistoler une ridelle ou changer un moyeu cassé. Entre ces réparations, il bricolait des brouettes et toutes sortes d’outils.

L’outillage

L’outillage était assez rudimentaire au début et toujours manuel :

  •  Pour le traçage : règles, équerres, compas, trusquin.
  •  Pour le sciage : passe-partout, scies à chant tourné.
  •  Pour le perçage : chignoles, tarières, vilebrequin.
  •  Pour le serrage et le maintien : étaux, valets, chèvre, cintreuses.
  •  Pour le tranchage et évidage : rabots, gouges, varlopes, planes, râpes.

Quelques masses et marteaux venaient compléter tout cet outillage.

Avec l’arrivée des moteurs thermiques et de l’électricité, l’atelier du charron s’est enrichi de scies à ruban, de mortaiseuses, de dégauchisseuses et de ponceuses.

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Nicolas HAMEN

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LVR-Freilichtmuseum (Ecomusée)

de Kommern

LVR-Freilichtmuseum (Ecomusée) de Kommern

Sur un espace de 80 hectares du « LVR-Freilichtmuseum » de Kommern (120 km de Houffalize) se trouvent actuellement 65 bâtiments historiques, originaires de l’ancienne Province rhénane de Prusse. L’exposition « Wir Rheinländer » (« Nous les Rhénans ») apporte un complément d’informations sur la vie de tous les jours et on y découvre la vie de nos ancêtres dans leurs activités journalières comme : faire le pain, travailler le bois, aller à l’école ou tisser. On a reconstitué la rue sinueuse d’une petite ville que vous pouvez longer. Elle vous raconte 150 années d’histoire rhénane en 50 scènes différentes.

d’après le site http://www.kommern.lvr.de


4 commentaires

  1. charron dit :

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